Jean-Marc Boerlin et Films Plans-Fixes
Comme tout jeune retraité, Jean-Marc Boerlin n’a plus une minute à lui. Curieux insatiable, il y a quatre ans environ, il accepte avec plaisir lorsqu’un ancien collègue libraire l’invite à rejoindre le comité de l’Association Films Plans-Fixes. Passionné par cette aventure, il en devient président en 2021. Convaincu de la richesse de ces quelque 370 entretiens filmés de personnalités romandes, avec un comité mixte à parité et un directeur (collaborateur salarié de l’association), il œuvre pour développer et faire mieux connaître ce patrimoine. Granges.org a voulu en savoir plus.
Texte de Grégoire Demaurex
Jean-Marc Boerlin (photo : Martine Rebetez)
Un visage, une voix, une vie… ou l’histoire intemporelle de Plans-Fixes
Pour le responsable de librairie qu’il était, Plans-Fixes était avant tout une collection de DVD’s qu’il vendait et connaissait. Ce qu’il ne voyait pas alors, c’était le subtil alliage de ces mémoires filmées permettant de saisir l’essence d’une vie. Cette notion d’équilibre est pourtant familière à Jean-Marc. À l’engagement de nouveaux/elles collaborateurs/trices, la base de sa grille d’embauche était immuable : « Un libraire, c’est quelqu’un qui aime exactement à 50 pour cent les gens et à 50 pour cent les livres. Si la personne aime davantage les gens, il convient de se trouver un autre métier, dans lequel le contact est prioritaire. Si elle aime plus les livres, elle sera mieux dans une bibliothèque ».
C’est un autre féru de littérature, Michel Bory, journaliste et romancier à ses heures, qui eu l’idée et posa les premiers jalons de Plans-Fixes en 1977. Il avait en vain cherché un entretien filmé de Charles-Ferdinand Ramuz. Fort de la nécessité d’une mémoire sur pellicules de la vie des personnalités de son coin de pays, il approche cameraman, preneurs de sons et journalistes de son entourage. Ensemble, ils définissent les règles du jeu : simples et efficaces. Les portraits seront tournés dans les conditions du direct, et si possible au domicile du sujet. Le personnage central apparaîtra seul à l’écran, son interlocuteur, lui, ne sera pas visible. Il s’en dégagera un sentiment d’intimité entre le sujet et le public, qui peut ainsi découvrir « un visage, une voix, une vie ! ».
Le projet fait des émules. L’Association Films Plans-Fixes est créée en 1979. Le journaliste Bertil Galland en devient le premier président. Les contraintes techniques et économiques marquent les débuts de l’association. Le tournage se fait sur des bobines en Super 8 d’une capacité maximum de dix minutes. Du coup, l’entretien filmé se structure en cinq séquences de dix minutes, « sans reprises ni coupures ». Le noir et blanc, moins cher, s’impose. Aucun compromis cependant sur la qualité : les chefs opérateurs, les preneurs de son, l’interlocuteur/trice seront des professionnel-les aguerri-e-s à ce type d’exercice.
Une indépendance à toute épreuve
Comme président, Jean-Marc a bien évidemment suivi toutes les phases de la production d’un portrait. La première étape est celle du choix des personnalités et du financement. Face à la pléthore de sujets possibles, l’association a défini des critères de sélection. D’un côté, la nécessaire représentativité des cantons et régions de Suisse romande ainsi que des domaines d’activité. Il serait souhaitable d’avoir plus de films consacrés à des paysan-nes ou des artisan-nes, mais leur financement reste très difficile. Les femmes sont aussi largement sous-représentées ; par conséquent, elles sont désormais plus systématiquement recherchées. Ce processus tient compte d’un besoin d’autofinancement, chaque production étant financée pour elle-même. Le budget d’un plan fixe se monte à 21’000 francs en moyenne. La Loterie romande y participe à hauteur de 10’000 francs pour un total de six portraits par année. Le directeur et le comité doivent trouver les ressources additionnelles auprès de sponsors, de fondations de promotion de la culture et autres mécènes. L’indépendance est de mise : la pertinence du domaine et l’intérêt du sujet l’emportent sur toute considération économique. Il n’est pas possible de s’acheter son propre Plans-Fixes ! À l’inverse, l’association accueille à bras ouverts l’éventuel mécène pour un sujet de grand intérêt, qui complétera sa collection.
Un rituel quasi immuable du tournage à sa projection publique
Après un repérage d’avant réalisation, l’équipe de tournage se rend au domicile du sujet dans la matinée du jour J. Au préalable, l’interlocuteur/trice a eu des échanges nourris avec la personnalité sur le cadre et le contenu de l’entretien. La pause de midi terminée, souvent agrémentée des sandwichs apportés par le directeur ou, occasionnellement, d’un repas concocté par le sujet, le tournage débute.
Moment convivial avant le tournage d’un Plans-Fixes.Ici, avec Gabrielle Nanchen, l’une des premières femmes à avoir accédé en 1971 au Conseil national.(photo : Jean-Marc Boerlin pour l’Association Films Plans-Fixes)
Celui-ci a lieu dans la pièce à vivre des intéressé-es. La réalisation peut parfois, à titre exceptionnel, avoir lieu en dehors du domicile du sujet. Jean-Marc évoque par exemple le tournage de Dick Marty à La Pitrerie, aux Mayens-de-Sion. Celui-ci avait accédé au rang de personnalité romande en raison de sa proximité linguistique et culturelle avec la Romandie. Lors de la Première, la présence des agents de sécurité de l’ancien procureur du Tessin et ex-parlementaire national avait généré une ambiance unique et particulière. « Un plan fixe ne triche pas » rappelle Jean-Marc Boerlin. Il relève que la puissance de cette rencontre intime impacte quasi systématiquement sur la qualité du sommeil du sujet, la nuit précédant le tournage. Il n’est alors que rarement profond. Face à l’intensité de ces moments, l’interlocuteur/trice joue un rôle déterminant. Plans-Fixes confie ce rôle à des journalistes aguerri-es : Patrick Ferla, Jacques Poget ou Anne-Frédérique Widmann endossent notamment ce costume. Toujours dans le respect de celle ou de celui dont on fait le portrait. Dans un tel climat de bienveillance, le tournage se déroule toujours d’une traite, en cinq prises de dix minutes chacune.
L’ancien médecin cantonal vaudois, Jean Martin, accueille l’équipe de Plans-Fixes. (photo : Jean-Marc Boerlin pour l’Association Films Plans-Fixes)
Une fois l’enregistrement réalisé, une Première publique est organisée. Elle est surtout et d’abord ouverte aux amis et aux proches. Elle prend place dans un des cinq lieux partenaires : la Maison des Arts du Grütli à Genève, le Casino de Montbenon à Lausanne, les cinémas Rex à Fribourg et Neuchâtel, l’Arlequin à Sion et la salle de l’Inter à Porrentruy. La Première réserve parfois des surprises. Dans certains cas, une poignée de personnes se présentent ou, à l’inverse, la salle est pleine. Jean-Marc Boerlin se rappelle à ce sujet la projection, l’année passée, du Plans-Fixes du médecin cantonal vaudois, Jean Martin ou celle du clarinettiste jurassien Jacky Milliet. Des projections sont finalement organisées pour répondre à des demandes ponctuelles ou dans le cadre de la Cinémathèque, principal partenaire de Films Plans-Fixes. Celles-ci ont lieu en présence du directeur et du président de l’Association, ainsi que du sujet. Le président parle de l’association. Le directeur introduit le sujet. Après le visionnement du film, un échange se fait avec le public, souvent riche et passionnant.
Des rencontres marquantes et privilégiées
À chaque projection, Jean-Marc fait le même constat, il y a vraiment une « magie » Plans-Fixes. Les proches et amis évoquent systématiquement avoir découvert certains traits du sujet qu’ils ne connaissaient pas. Autre élément de surprise, les séances publiques font jaillir des thèmes et des développements intéressants. Jean-Marc relate les riches échanges avec le professeur de littérature russe Georges Nivat ou avec Mathieu Jaton à la projection du Plans-Fixes de Claude Nobs. Tant au tournage qu’à la projection, cette magie opère. Certaines images marquantes lui reviennent, par exemple celle de Marie-Louise Goumaz, pétillante nonagénaire dépositaire du patois vaudois, seule, micro en main, face au public de la salle communale de Chexbres. Ou encore, l’émotion ressentie lors du tournage du portrait de Gabrielle Nanchen. À la fin de la dernière prise, il y a eu un long silence ponctué d’un « wouaw ! » du cameraman. Jean-Marc se remémore la venue de Dick Marty à Lausanne, un homme pour lequel il nourrit une admiration sans bornes. Il l’avait présenté en disant : « Cet homme, qui a œuvré au sein des trois pouvoirs, législatif, exécutif et juridique, me permet de garder espoir et de croire qu’il est possible de ne pas sombrer dans la fange du non-droit. Je tenais à saisir cette occasion pour le remercier et lui dire que par son action, il m’aide à vivre. Et je suis certain de ne pas être le seul. »
Quelque chose d’incroyablement moderne et toujours en mouvement !
Plans-Fixes, c’est d’abord une rencontre intemporelle avec un peu d’éternité. Ce sont 370 portraits parmi lesquels il y en a forcément au moins un qui vous intéresse. L’indéfectible modernité de Plans-Fixes résiste aux assauts des modes et des générations nouvelles. Il y a bien sûr eu des tentatives d’évolution, ajout de la couleur, prise de vues extérieures ou autres effets visuels, mais rien n’a réussi à remettre en cause les principes des débuts. La sobriété, le minimalisme de Plans-Fixes, avant tout liés à des raisons économiques, permettent de se concentrer sur le visage et le message du sujet. À l’heure des podcasts où des personnalités parlent d’elles-mêmes et de leurs thèmes d’expertise ou de vidéos d’entretiens sur une heure ou plus, les Plans-Fixes restent inchangés et toujours d’actualité. Même si, récemment, la pratique des bonus a été introduite, soit une prolongation de l’entretien avec un thème cher au sujet, comme la santé publique pour Jean Martin ou la musique pour le pianiste Christian Favre.
Le chanteur Pascal Auberson fait face aux questions de Patrick Ferla. (photo : Jean-Marc Boerlin pour l’Association Films Plans-Fixes)
Le plan fixe écrit de Jean-Marc s’achève. Il repart en quête de sujets, de financements et d’une directrice ou d’un directeur, car l’actuel prend bientôt sa retraite.
Pour plus d’informations et pour visionner les films gratuitement et sans inscription : https://www.plansfixes.ch/
Deux projections publiques de Plans-Fixes se tiendront à la nouvelle salle communale de la Léchère 2bis dans le cadre de Gr’Anges en Fête :
– le vendredi 6 septembre de 19h à 21h avec Hugo Fasel, syndicaliste et ancien directeur de Caritas Suisse ;
– le samedi 7 septembre de 19h à 21h avec le berger-conteur gruyérien Dominique Pasquier.
Ces deux personnalités de notre canton assisteront à la projection de leur Plans-Fixes puis prendront un moment avec le public pour un échange et pour répondre aux questions. Entrée libre.